J'ai la trouille. De ne pas réussir à sortir du troupeau. De rentrer dans les rangs de ceux que je méprise. De ne pas pouvoir surenchérir sur ce mariage-là, cette carrière-ci...

 

La trouille fait reculer pour mieux sauter. Mais à la fin, on est une bande de moutons qui font marche arrière.

 

Ils ne sautent jamais, les moutons en marche arrière. Ils reculent.

 

Quelle femme choisir, quelle partenaire ? Et si la suivante devait être meilleure ? Si elle n'arrivait qu'un peu plus tard ? Si je n'attends pas, je ne le saurai jamais. Mais si j'attends, je perdrai ce que j'ai sous la main.

 

Or ma main est ankylosée, paralysée par l'idée d'un avenir qui n'arrive pas, elle ne sait pas saisir le présent et je perds ce qui est en préservant ce qui ne sera jamais.

 

C'est merveilleux, je philosophe comme un vieux con et je m'ancre sur place en tentant de m'expliquer le pourquoi de mon immobilisme.

 

J'y parviens.

 

Et je ne me mets pas pour autant en mouvement.

 

Je suis un professionnel de l'attente.

 

Je suis le patient impatient, malade de la mystification de son hypothétique futur.

 

Mais ce qui viendra, ce qui viendra, je le sais, c'est une leçon. Je ne dirai jamais à quiconque d'attendre. Et je deviendrai sourd à ce conseil moi aussi.

 

Alors je ferai des conneries. Tiens, j'ai même envie de baiser une moche.

 

C'est vrai, je me suis toujours interdit de baiser des moches. Des vraiment moches je veux dire. Ou quand ça s'est produit, c'était fortuit, non assumé.

 

Là je veux baiser une moche consacrée dans sa mochitude, une moche bien campée, sans ambiguité, une moche nette.

 

Et puis peut-être que ça fera un déclic. Ça m'emmerde de m'interdire des choses. J'ai pas besoin qu'elle parle bien et qu'elle ait des seins parfaits pour lui dire je t'aime. Je sais pas comment je veux qu'elle soit, mais putain qu'est-ce que j'ai besoin d'aimer.

 

Avec mon attente à la con, je suis comme un génie qui marine dans sa lampe à huile que personne n'a frottée en mille ans. Et il rumine le génie dans sa prison sous-marine, il tergiverse, il conjecture.

 

Qui va frotter ? Qu'est-ce que je vais lui faire ? Lui filer 3 voeux ? La bouffer toute crue ?

 

J'ai tellement exaucé de vœux pour de mauvaises frotteuses... j'ai tellement escompté et je me suis tellement trompé parce qu'elles avaient des gueules de bonnes candidates.

 

Fait chier les bonnes candidates ! Je veux une moche !

 

Même si elle est pas complètement moche. Juste un peu moche.

 

Comme ça, quand elle se fera belle, ça fera vraiment une différence.

 

Et moi je la trouverai belle. Elle aura mille vœux. Pour une semaine, un an ou une vie, elle sera une reine.

 

Et si ce n'est qu'une semaine ou un an, je trouverai une autre reine.

 

Je n'attendrai pas de trouver "la" reine, je ferai une reine, et puis peut-être une autre et encore une autre.

 

Je veux aimer moi ! Je veux aimer avant de mourir... j'ai besoin d'aimer avant de mourir.

 

C'est criminel d'attendre.

 

C'est criminel de perdre son temps à savoir si telle est éligible et pourquoi telle autre ne l'est pas.

 

Faut aimer et puis c'est marre.

 

On court, on tombe et on pense après.

 

Si on pense avant, on tombe pas. Parce qu'on n'a pas couru. Et pour cause ! On n'a pas bougé.

 

On n'a pas aimé.

 

J'ai trop à donner pour faire des confitures. Mes fruits je vais les donner frais, à la terre entière. Et ça m'obligera à en faire pousser d'autres. Putain je sens monter la sève !

 

Je ne peux pas être un Harpagon du cœur. Je peux tout donner maintenant que je n'ai plus rien à perdre.

 

Je vais tout donner, à la première qui viendra, je vais lui voler dans les bigoudis, lui déchirer ses collants, lui écrire des poèmes à la con qui la feront pleurer et moi aussi par la même occasion.

 

Alors excusez-moi, faut que j'y aille, j'ai vraiment pas de temps à perdre.