Je me suis inscrite sur un site de rencontre.

 

Pourtant, je suis mignonne. Si, si !  je plais. Je le vois bien, je me fais draguer, complimenter, parfois siffler. Ca, c’est sympa. Mais dès qu’il s’agit d’aller plus loin, là, ça se complique.

 

Quand je croise un type en survêtement qui prend son courage à deux mains, qui se fabrique une assurance, qui vient me voir pour me dire que je suis - je cite - charmante, ça me fait plaisir. Mais on n’ira pas au-delà. Faut pas déconner. Je ne suis pas sectaire mais bon. Enfin si, je suis sectaire. Mais bon.

 

Moi j’ai fait le tour de mes collègues, des amis de mes amis, des amis de ma famille... il faut un appel d’air, je dois rencontrer d’autres personnes. Je dis “d’autres personnes” alors que je veux rencontrer un homme. Et pour rencontrer un homme, il faut que je rencontre des hommes. C’est pour ça que je me suis inscrite.

 

Au début, j’avais des envies de parler métaphysique, grands sentiments, projets, passions, politique, art et littérature. Même quand ça commençait comme ça, on arrivait assez vite à la question fondamentale de savoir si j’étais ou non une cochonne.

 

C’est pénible ! Moi je veux avoir des échanges un peu profonds avant de décider si j’ai envie d’être cochonne. J’ai besoin d’être conquise, admirative, emportée et amusée avant qu’on extrapole sur la vie sexuelle hypothétique que l’on pourrait avoir. D’ailleurs, historiquement, plus j’ai été conquise, admirative, emportée et amusée, plus j’ai été cochonne. Ca prouve bien que ce n’est pas un facteur limitant.

 

Seulement, comme ça fait longtemps que je n’ai pas été conquise, eh bien ça fait longtemps que je n’ai pas été cochonne. Oh, bien sûr, j’ai eu quelques aventures, mais sans être cochonne. C’étaient des aventures sans qu’il y ait une intimité pour que se découvre la cochonne qui sommeille en moi. Du coup, la cochonne, elle dort mais, moi, je sais qu’elle est bel et bien là.

 

Alors sur mon site de rencontre, j’ai changé de stratégie. J’ai décidé de développer ma partie cochonne tout de suite. Dès qu’un homme vient me parler, je lui dis combien je suis une cochonne, une vraie. Bien sûr, je vire tous ceux qui ont une orthographe douteuse, un langage incorrect et un manque de réactivité. Ceux qui restent, eh bien ceux qui restent, ils demandent assez vite à parler métaphysique, grands sentiments, projets, passions, politique, art et littérature.

 

L’homme est un animal peureux qui se fait passer pour un dur à cuire. Il passe d’une peur à l’autre. Il a peur de tomber sur une femme qui n’est pas cochonne. Il a peur de tomber sur une femme qui n’est que cochonne. Alors quand il trouve une cochonne, il cherche la métaphysique et quand il trouve la métaphysique, il cherche la cochonne.

 

Le problème, c’est qu’un homme qui trouve une cochonne, il a peur de ne pas être à la hauteur. Et quand il trouve la métaphysique, il a peur qu’elle ne soit pas à la hauteur.

 

Les hommes ignorent souvent qu’un sentier mène de la métaphysique au physique. C’est en cheminant sur ce sentier qu’un homme pourra me conquérir.

 

Eh bien ça ne marche pas.

 

J’ai eu des échanges enthousiasmants avec un homme sur ce principe. Il était passionnant. Pas sur les discussions cochonnes - enfin, si, ça aussi c’était bien - mais je parle de son regard sur la vie, de sa manière d’être, de me parler, de me faire exister. La perle ! En plus il était drôle ! Il me faisait rire, il avait beaucoup d’esprit, de finesse, d’espièglerie. Et comme il ne demandait toujours pas à me rencontrer, je lui ai proposé qu’on se voie. Et là, silence. Plus rien. Je ne comprends pas, je m’interroge, je m’impatiente, je me remets en question, je surveille mes messages, rien. J’insiste, je le harcèle un peu, il répond. Et qu’est-ce qu’il me dit ? Qu’il ne veut pas tomber amoureux d’une salope.

 

Alors je m’insurge, je réfute, je ne suis pas une salope, je suis une cochonne potentielle, c’est quand même pas la même chose ! Et lui, il ose m’expliquer que ça n’a pas de sens d’être cochonne ou pas cochonne dans l’absolu, que ce qui compte, c’est la relation intime qui se construit entre deux personnes et dont la sexualité n’est qu’une facette. Mais quel crétin ! Je le sais moi, tout ça ! C’était mon idée !

 

Il m’a simplement répondu que je n’étais pas son genre de femme. Qu’il aimait beaucoup parler avec moi mais qu’entre nous, ça ne marcherait pas. Mais pourquoi ? je lui ai demandé ! Il m’a dit que c’était comme ça ; j’ai rien pu répondre.

 

Alors je me suis désinscrite du site de rencontre.

Maintenant, je me promène, j’arpente les musées, les parcs, les magasins. Je porte des pantalons qui me font des jolies fesses ou des jupes un tout petit peu trop courtes. Et surtout, j’arbore un air de ne pas y toucher. Je suis myope, alors je laisse mes lunettes dans mon sac à main, ça m’évite de me faire griller si un beau mec passe à côté de moi. A la place des lunettes, j’ai mis un peu de mascara. Et avec mon air le plus ingénu, mon regard paumé et mon cul suggestif, je vaque à des occupations lambda jusqu’à ce que quelque chose se passe.

 

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai quand même l’impression que je ne suis pas la seule sur ce créneau. En fait, ça se bouscule au portillon. Pas grave, j’ai mes atouts. En plus, les hommes qui viennent me voir, ils me parlent d’une foule de choses qui n’ont rien à voir avec mon statut de cochonne potentielle. Cela dit, dès que je remets mes lunettes, je vois bien que ça les démange... et qu’ils se retiennent. Je suis un peu comme un ticket de loterie. Et je suis la seule à savoir que c’est un ticket gagnant. Et en attendant le... tirage, je suis traitée comme une déesse.

 

Et contrairement à Circé, qui transformait les compagnons d’Ulysse en pourceaux, moi, je me transformerai en cochonne pour mon conquérant. J’attends juste qu’il me conquière, mon conquérant. Sinon je suis une déesse condamnée à la métaphysique. C’est exactement ce que j’étais avant de m’inscrire sur mon site de rencontre. Ca promet...