Moi j’aime bien Cynthia.

 

Cynthia, c’était ma partenaire sur les tournages de “Petites chattes dans grand château” et “Infirmière mais cochonne”.

 

Elle me fait rire, Cynthia. Elle est super pro, donc pendant que ça filme, elle est complètement à ce qu’elle fait, mais dès que ça s’arrête, elle fait des blagues. Par exemple, quand le réalisateur dit : « Coupez ! », elle répond toujours : « Circoncision ! »

 

C’est bête mais moi ça me fait tout le temps marrer.

 

Cynthia, elle m’appelle “mon petit chou”, normalement, j’accepterais pas un surnom comme ça. D’autant que dans le métier, je suis connu comme “le pylône du plaisir”. Mais venant d’elle, j’aime bien.

 

Vous savez, dans ce métier, on fait des tas de rencontres. Vraiment, des tas. Mais finalement, en dehors du boulot, les gens, on les connaît pas vraiment. Alors il y en a qu’on n’a pas du tout envie de connaître. Par exemple, il y a les filles qui critiquent. Ca, il y en a partout des filles qui critiquent, dans n’importe quel métier. Et elles disent que celle-ci a couché pour avoir le rôle, que celle-là a exagéré sur les prothèses et j’en passe. J’aime pas les filles qui critiquent, ça met une mauvaise ambiance. Du coup, pendant les pauses, à la machine à café, il y a parfois comme une atmosphère pénible qui fait que les gens sont pas à l’aise.

 

Ah et puis il y a les petits chefs. Ca aussi il y en a partout, des petits chefs. Ils veulent toujours tout commander. Ils ont un avis sur tout. L’autre jour, il y a Gomez - Gomez, c’est son pseudo, il est même pas espagnol, c’est un Arabe, mais espagnol, c’est plus vendeur - donc il y a Gomez qui lisait le scénario avant de commencer sa scène et il faisait des tas de soupirs. Alors le réalisateur est allé le voir et Gomez l’a regardé et lui a dit : « Il tient pas ce scénario, c’est pas crédible. »

 

Mais qu’est-ce qu’on s’en fout de savoir ce qu’il en pense, Gomez, du scénario. C’est même pas son métier, les scénarios. C’est juste qu’il était pas content d’être encore le plombier et qu’il trouvait que dans un film d’époque qui se passe dans un château du XVème siècle, ça faisait bizarre. Il essaye toujours de faire son intello, Gomez. Dès qu’il peut, il sort de son champ de compétence et il donne des leçons aux autres. Même pour des détails. Par exemple, il voulait que son personnage s’appelle Mario, il disait que, pour un plombier, ça ferait un hommage à Nintendo. Le réalisateur a refusé. Alors il a proposé qu’on appelle le plombier Huggy le bon tuyau, en hommage à Starsky et Hutch. Là, le réalisateur, il a hésité, il aimait bien l’idée du bon tuyau, mais finalement, Gomez, il l’a appelé Gomez. Gomez, il aime pas s’appeler Gomez dans les films, il dit que ça casse la frontière entre lui et le personnage.

 

Alors il a lâché l’affaire, il a fait le plombier, comme prévu, il s’est appelé Gomez, comme prévu et la scène a enfin pu démarrer. Le réalisateur a dit : « Ca tourne ! » et Cynthia a dit : « Tournante ! » Alors moi j’ai rigolé mais le réalisateur il a vraiment fait la tête. Je crois que Gomez l’avait déjà vachement énervé. Alors il a dit : « Coupez ! » - et j’ai bien senti que Cynthia se retenait de dire « Circoncision » parce que là, c’était vraiment pas le moment de faire des blagues.

 

La scène a finalement pu se faire, Gomez s’est encore rajouté des lignes de texte, mais faut avouer que là c’était pas mal. Il s’est déshabillé et, en imitant Titi, il a dit : « Je crois que j’ai vu un Robinet. » Une autre fois, vers la fin de la scène, il a dit : « Comtesse, t’es le radiateur le plus chaud que j’ai jamais eu à purger. »

 

Bref, il est quand même sympa, Gomez, mais il est tatillon sur tout.

 

A la fin du tournage, je suis allé voir Cynthia, elle rassemblait ses affaires avant de partir. J’étais anxieux, alors je lui ai un peu parlé de sa performance. Elle a bien aimé mes commentaires sur ses scènes, mais elle faisait des grimaces parce qu’elle avait des irritations. Alors, pendant qu’elle se passait de la crème, je me suis installé à côté d’elle, et comme ça, l’air de rien, on a commencé à parler, de tout et de rien. Elle sentait bien que j’avais un truc à lui demander. Alors de temps en temps, elle levait les yeux vers moi. Elle a des yeux magnifiques, Cynthia. Une couleur entre le bleu et le vert. Et comme elle était pas démaquillée, elle avait encore le gros trait noir qui fait bien ressortir son regard. J’étais en train de perdre mes moyens mais j’ai senti qu’il fallait que je saisisse ma chance. Alors je me suis lancé et je lui ai dit : « Et sinon, là, tu voudrais qu’on aille dîner ensemble ? »

 

Elle n’a rien répondu. A la place, elle a rougi. Elle a baissé la tête et elle s’est rhabillée, lentement. Et puis elle m’a dit : « Un dîner ? Un vrai dîner ? Comme des amoureux ? » Alors moi j’ai dit que non, ou en fait que si, mais pas obligatoirement, et puis je me suis emmêlé les pinceaux et puis finalement j’ai dit que oui, un vrai dîner, comme des amoureux.

 

Elle était toute contente, Cynthia, et encore plus rouge - ben parce qu’elle était intimidée, pas à cause des irritations - alors elle m’a pris la main, tout doucement, et on est parti, sans rien dire. Vous savez, parfois, les mots sont superflus. Cynthia et moi, on se comprenait. Alors on a quitté le plateau, sans dire au revoir aux autres, et on est allé dans un petit restaurant italien à côté de chez elle. On a refait le monde, on se sentait invincibles tous les deux, l’avenir nous appartenait et les paroles coulaient à flots comme le Chianti dans nos verres. C’est une sacrée fille, Cynthia, avec beaucoup de personnalité, elle a pas eu une vie facile et il lui a fallu beaucoup de volonté pour s’en sortir. Mais elle a bien senti que, maintenant que j’étais là, elle n’était plus seule.

 

Dans le restaurant, elle était en face de moi, on se tenait les mains. Et à un moment, elle s’est levée et elle est venue s’installer à côté de moi. Elle m’a regardé avec ses grands yeux bleu-vert et elle m’a dit : « Tu sais, je me sens vraiment bien avec toi, mais je veux pas qu’on aille trop vite. » Alors je lui ai dit que je comprenais, je l’ai prise dans mes bras, et je l’ai ramenée devant chez elle. Là, elle m’a donné un baiser tout gentil, tout mignon, sans la langue ni rien, et elle m’a dit : « A demain, mon petit chou. »

 

Dans la rue, j’étais tout guilleret, j’ai marché jusqu’au studio, j’ai rejoint le réalisateur et les techniciens qui s’occupaient du montage, et il y avait aussi Gomez. Gomez, il m’a regardé, d’un air entendu et j’ai levé la main pour lui montrer que c’était pas le moment de faire des allusions déplacées. Mais il avait compris, Gomez, il voulait juste me dire que le prénom Cynthia, ça voulait dire jacinthe. Alors le lendemain, quand j’ai retrouvé Cynthia, j’avais un gros bouquet de jacinthes. Elle était toute émue, Cynthia. Et encore plus quand je lui ai expliqué l’origine de son pseudo qui venait des Grecs.

 

Bon, là, elle a pas pu s’empêcher de faire une blague sur les Grecs. On a bien rigolé.

 

Moi, intérieurement, je remerciais Gomez, il sait quand même un paquet de trucs. Cynthia pressait le pas, elle ne voulait pas arriver en retard pour le prochain tournage. Elle était déjà en tenue, elle devait faire une scène de “Infirmière mais cochonne” et son partenaire, c’était justement Gomez. Alors, comme un clin d’oeil, je lui ai accroché une jacinthe à sa blouse, je me suis dit que Gomez comprendrait. Il jouait un plombier malade qui venait se faire soigner dans un hôpital où Cynthia était infirmière. Leur scène était très bien. Et à la fin, Gomez, il s’est encore rajouté une ligne de texte. Il a dit : « Finalement, vous, vous êtes un peu fleur bleue. » Et c’était drôle, parce que les jacinthes, c’est des fleurs qui sont un peu bleues.

 

Moi je trouve que c’est des petits détails comme ça qui font qu’il y a une bonne ambiance au boulot. Gomez et moi on devient de plus en plus copains. Et avec Cynthia, c’est le grand amour. Ce qui serait bien, maintenant qu’on est ensemble, c’est qu’on arrête ce métier. D’accord, c’est sympa et on rencontre plein de gens, mais à la longue c’est fatigant, on n’a plus de temps pour nous. Le problème, c’est qu’en changeant de boulot, il va encore falloir des années pour retrouver une ambiance comme ça.