Hier, Marc m’a quittée.
En fait, on a rompu.
D’un commun accord.
Enfin... plutôt d’un désaccord commun.
Je ne l’avais jamais vu comme ça.
Pendant des mois, il s’est occupé de moi, il s’est intéressé à moi, à ma journée, à ce que je faisais, à ce que je pensais, à mes nouvelles coiffures, robes, lubies... Tout tournait autour de moi, moi, moi. C’était parfait. Il me traitait comme une princesse, j’étais dans un conte de fée.
Et comme je n’avais pas de marraine avec des pouvoirs magiques, il sortait régulièrement sa carte bleue, pour compenser. Ici des fringues, là des restaurants et aussi des voyages ou des petits cadeaux. C’est mieux qu’une marraine.
Ma marraine s’appelle Astrid et elle a une haleine de faucon. Elle ne sait faire qu’un genre de cadeau : des pulls avec des animaux dessus. Quand j’avais 14 ans, elle m’a offert un pull avec un panda. On aurait dit un ours polaire qui fumait des pétards d’eucalyptus en écoutant du Bob Marley - d’où les cernes. Il avait vraiment une tête de débile. Et moi, j’avais déjà des seins - pas comme maintenant, mais quand même - et ce pull, en plus d’être ridicule, était comme une négation de ma poitrine. Moi qui voulais la mettre en valeur, quitte à avoir froid à cause des tissus trop fins que je préférais à la laine, je la voyais camouflée par le pull panda qui en faisait deux petites bosses modestes et peu appétissantes.
Bref, tout ça pour dire que Marc faisait une meilleure marraine qu’Astrid.
Maintenant qu’il m’a quittée, je suis presque orpheline.
Il me traitait comme une star. J’étais une étoile. Un soleil. Immense et lumineux. Et lui était une petite planète qui me tournait autour. Je n’avais rien à faire, il fallait juste que je brille. D’ailleurs il me trouvait éblouissante.
Marc me pressait un pamplemousse tous les matins. J’aime pas les oranges. Trop sucrées. Et le jus en bouteille, trop chimique, ça ne me va pas au teint.
Moi j’étais contente.
Tout le monde me disait que j’avais beaucoup de chance. Mes amis étaient presque surpris parfois. Un jour, ma meilleure amie, Juliette, m’a dit de faire attention. Elle a toujours eu beaucoup d’intuition. Je sais plus quand c’était, on avait fait un dîner, et Marc avait préparé du turbot - il sait que j’aime bien le poisson - et il racontait une blague que j’avais déjà entendue la semaine d’avant quand on était allés dîner chez mes parents. Alors, gentiment, comme ça, j’ai dit : “Ca va, on la connaît ton histoire.” C’était sans méchanceté, c’est juste que, comme je l’avais déjà entendue, j’aurais voulu en entendre une nouvelle.
Après, le dîner s’est bien passé. Mais Juliette m’a fait la remarque - pendant que Marc faisait la vaisselle à la cuisine - qu’il n’avait plus rien dit de la soirée. En même temps, c’est pas un grand bavard. Lui, il est plutôt dans l’écoute. C’est ça que j’aime bien chez lui. Cela dit, Juliette a toujours été un peu jalouse, donc je ne suis pas sûre que je peux l’écouter. J’ai bien remarqué que dès que je m’absentais un instant dans les soirées, elle en profitait pour parler avec Marc. Et elle lui faisait des “Ah bon ! Tu fais de l’escalade ? Génial, raconte...” et des “Alors, tu retournes quand en Arabie Saoudite ?” ou des “Elle te va très bien ta chemise.”
Moi ça m’énervait. Déjà, que tous les samedis matins, il allait à Fontainebleau grimper sur un mur stupide, j’avais pas besoin qu’elle l’encourage. Du coup, les samedis, mon pamplemousse, je ne l’avais jamais avant midi. Je disais rien, mais c’est quand même agaçant. Enfin, je dis que je disais rien... je l’ai peut-être dit une fois ou deux, par franchise. C’est super important la communication dans un couple.
Après, Juliette qui le fait parler de l’Arabie Saoudite comme si c’était un voyage extraordinaire... faut quand même pas exagérer, il est pas allé voir les émirs, il est allé vendre des logiciels. Ca aurait été à Courbevoie, ça aurait été pareil. Le truc qui était sympa, c’est que quand il allait là-bas, il revenait toujours avec un cadeau. Mais entre nous, j’aurais préféré qu’il ne me laisse pas toute seule et qu’on aille tous les deux dans un magasin du quartier. En plus, Marc, il était content d’aller en Arabie, il disait qu’il découvrait plein de trucs, j’ai jamais trop compris quoi, moi j’aurais préféré qu’on fasse Cancún, il y a des hôtels très bien et ils ont tous des spas.
Et le dernier truc qu’elle lui disait Juliette, c’était quoi... Ah ! oui, la chemise. Complètement banale sa chemise. Je lui avais dit d’ailleurs. Un bête morceau de coton cousu qu’il avait acheté en solde, pas de quoi en faire un fromage.
Alors forcément, Juliette qui lui parle de son escalade, de son Arabie, de sa chemise, il ne se sentait plus Marc. Alors après, j’ai plus vu Juliette avec Marc, juste elle et moi, entre copines. J’aimais pas la voir tourner autour de lui comme ça.
Mais même quand on était toutes les deux, elle me demandait des nouvelles de lui... et l’escalade, et l’Arabie Saoudite, elle a juste eu la bonté de m’épargner des questions sur ses chemises. C’est pénible, parce que quand elle fait ça, elle prend sur le temps où on peut parler de nous.
Je ne la vois plus trop, Juliette.
Je ne sais pas à qui je vais pouvoir parler de ma rupture avec Marc.
Il y a bien Matthieu, qui me tourne autour depuis quelques mois. Moi, je ne l’ai jamais calculé parce que j’étais avec Marc. Je suis allé prendre un café avec lui, une fois. Il a essayé de me prendre la main. Je ne l’ai pas laissé faire. Enfin, pas longtemps. Ben oui parce qu’il me disait des choses très gentilles... j’avais peur qu’en retirant ma main tout de suite il s’arrête. Il me parlait de mes yeux, de mon port de tête altier, de ma bouche si bien dessinée.
C’était un peu comme Marc. Mais en mieux dit. Il a toujours eu de la facilité pour dire les choses, Matthieu.
Je crois que je vais l’appeler pour lui raconter ce qui s’est passé avec Marc.
Quand j’y pense, je n’en reviens pas. Non seulement il m’a quittée mais en plus il m’a injuriée ! Il m’a balancé que j’étais égoïste, égocentrique et égotique : genre ! trois mots qui veulent dire la même chose et en plus c’est même pas vrai. Je suis très gentille et il le sait très bien, il a juste dit ça pour se donner une raison.
Mais c’est surtout la dernière insulte que je comprends pas bien. Il m’a dit que de toutes les manières j’étais qu’une princesse. Mais ça, c’est vrai et c’est plutôt un compliment. Mais là il était tellement méchant en disant ça que je l’ai vraiment mal pris.
Alors que le reste du temps, quand il m’appelait “ma petite princesse”, je trouvais ça mignon.
J’ai un peu rigolé quand je l’ai dit à Astrid - oui, j’ai appelé ma marraine juste après, Juliette répondait pas - parce que j’ai fait une blague sans faire exprès. J’ai dit : “Tu vois, c’est lui qui fait de l’escalade et c’est moi qui tombe de haut.” Mais elle était pas d’humeur à rigoler Astrid. Elle venait de perdre son père alors elle écoutait pas vraiment ce que je lui racontais. C’est pas grave, je comprends, moi aussi j’aurais eu l’esprit ailleurs si j’avais perdu mon père. Mais bon, à ce moment-là, Astrid n’était sans doute pas la meilleure personne à qui parler.
Je pense que je vais appeler Matthieu.
Ses parents ont une maison sur la côte d’Azur.
Et puis j’ai toujours préféré les hommes grands.
J’espère qu’il prendra vite le plis des jus de pamplemousse.
En ce moment, je me les fais toute seule.
Ca va, c’est pas dur. Mais tout laver après, j’aime pas.